Jour 21. Jonction route 37 - Boya Lake
91km. 459m de gain d'élévation.
Dès mon départ ce matin, je me dirige plein sud en Colombie-Britannique et très tôt, je découvre certains des charmes et des inconvénients de ma nouvelle route.
Première constatation, il y a beaucoup moins de trafic. Moins de motorisés, particulièrement les plus gros mastodontes et surtout moins de poids lourds. J'en compte quatre seulement dans les 3 premières heures.
Parmi les inconvénients, la route est beaucoup moins large et elle n'est pas marquée. Il n'y a donc pas vraiment d'accotement, mais il y a tellement peu de trafic qui roule moins vite que ce n'est pas vraiment un problème.
Autre inconvénient: on a dépensé beaucoup moins d'argent pour construire cette route que le Alaska Highway. On a donc déplacé beaucoup moins de sol pour aplanir la route et le profil est en conséquence. Alors que sur le Alaska Highway, on retrouverait de longues pentes égales, ici, la route épouse plus le profil original du sol. Il s'en résulte une série de plus petites collines et toute la journée, c'est monte et descend, en succession rapide. Les pentes sont aussi plus à pic. Je rencontre régulièrement des pentes à 11-12%, alors que précédemment, je rencontrais au plus du 7-8%.
Mais les paysages sont toujours aussi beau. Au bout d'une vingtaine de kilomètres, j'arrive à la forêt qui a brulé l'année dernière. J'avais déjà traversé des forêts qui avaient brulées auparavant, mais jamais aussi récemment. Les arbres sont encore tous noircis et le sol est tellement calciné, il n'y a aucune végétation. Pas de plantes, pas de mousse. On marche directement sur le sable. Par endroit, c'est très sombre comme vision, bien que ce soit très spectaculaire en même temps.
Je traverserai cette forêt pendant près de 30km et tout au long, je verrai les véhicules stationnés, des cueilleurs de morilles. À quelques reprises, il y a des espèces de campement de fortunes composés d'abris tempo, de vieilles tentes, de poêles à bois, le tout couronné d'un écriteau "Mushroom Buyer". J'apprend d'un de ceux-ci que certaines personnes passent 2 mois d'été dans le bois, à faire le commerce des champignons et plus tard, de petits fruits sauvages.
J'ai aussi droit à une autre rencontre avec un grizzli. Celui-ci est seul et je ne le vois qu'à la dernière minute. Je passe à moins de 5 mètres de lui pendant qu'il me contemple avec une indifférence totale.
L'acheteur de champignons m'a d'ailleurs prévenu: dans les brulis récents, les ours trouvent moins à se nourrir. Il me dit de me méfier surtout des ours malingres, qui sont plus dangereux. Celui que je rencontre est gras et rond, presque jovial.
Après m'être arrêté à une halte routière, je repars et sous-estime la largeur de mon vélo en passant près d'un garde de béton. Résultat: ma sacoche avant accroche le garde, je perde mon guidon et chute, en me recevant sur les genoux. Deux genoux en sang. Heureusement qu'il ne reste qu'une dizaine de kilomètres avant ma destination. Je me lave sommairement les genoux et repars. Rendu au campement, un bon nettoyage et du désinfectant, c'est finalement moins pire que ça paraissait. Je ne serai pas obligé de m'amputer avec le tire-bouchon de mon couteau suisse.
Le camping du lac Boya est sobre, mais le lac est superbe. C'est un de ces lacs alimentés par de l'eau de glacier et dont les particules en suspend reflètent la lumière, transformant la surface de l'eau en une grande surface verte lorsque le soleil brille. Pensez au lac Moraine ou au lac Peyto, dans les rocheuses.
Sur le quai, je rencontre trois cueilleurs de champignons venus prendre un après-midi de congé au bord du lac. Il faut dire qu'il fait particulièrement chaud, autour de 27 degrés. Je me laisse tenter et saute à l'eau moi aussi. C'est pas très chaud - j'ai déjà mentionné l'eau de glacier - mais comme on dit, une fois saucé...
Comme il est très tôt dans la journée, je passe le reste de la journée à faire une sieste, à marcher le long du lac et à lire un peu. J'ai le même roman avec moi depuis le début du voyage et j'ai à peine lu 130 pages.
Juste comme je m'installe après mon souper pour rédiger mon journal, un gros orage violent éclate et je suis confiné à ma tente pour le terminer.
Demain, jeudi, j'espère me rendre jusqu'à Dease Lake, un petit bled avec des services. Il s'agit quand même d'une distance appréciable de 150km et les gens à qui je parle me préviennent tous à propos d'un chantier de reconstruction de la route qui durerait jusqu'à 78km, sections en gravier inclus. Au pire, je prend 2 jours pour m'y rendre, en autant que j'y suis avant vendredi 17h, car j'ai un paquet de nourriture qui m'attend au bureau de poste.
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Jour 22. Boya Lake - Dease Lake.
140 km. 975m de gain d'élévation.
Ouf! Surement une de mes meilleures journées, combinant distance, montagnes et chaussée difficile.
Ce matin, je me lève tôt et bien qu'il n'ait pas plu de la nuit, tout mon campement est détrempé de l'orage de la veille. J'ai entre autres découvert un défaut de conception avec ma tente qui fait que la toile de sol est un tantinet plus grande que la tente elle-même. Un tantinet, c'est tout ce que ça prend pour se retrouver avec une mini-piscine en dessous de la tente. À rectifier à la prochaine installation, si un jour je réussi à la faire sécher!
Mais le temps est quand même agréable. Un beau soleil avec des nuages épars. Apres déjeuner, je commence à rouler. Le terrain de camping est situé à environ 2km de la route. Je ne suis même pas rendu à la route qu'une averse débute. Long soupir. Imper, etc. Finalement, la pluie dure environ 30 minutes et le reste de la journée, la température sera généralement ensoleillée et juste un peu moins chaud que la veille.
Au départ, j'ai comme ambition de me rendre à Dease Lake, située à 150km. Ça me semble un peu fort, mais je suis vaguement optimiste. La pluie n'affecte pas mon optimisme, mais pas très loin, cette pancarte le menace sérieusement:
La photo n'est pas très claire, mais ça dit "Construction ahead next 84km". Le seul chantier à proprement parler est à 72km plus loin, mais tout au long de la route, de grandes sections ont été travaillées avec de l'équipement lourd. Je me retrouve donc à traverser de longues sections couvertes de gravier, comme j'avais déjà rencontrées au Yukon. Je remarque que les automobilistes sont particulièrement sans-cœur pour ce qui est de ne pas ralentir. Je renouvelle mon répertoire d'insultes et de jurons bien choisis. Contrairement à ce qu'un autre cycliste m'a dit faire, je ne répond pas en lançant moi-même des pierres dans les pare-brises des voitures qui ne ralentissent pas. Mais c'est quand même pas l'envie qui manque parfois, surtout quand les sauvages ne ralentissent pas mais qu'ils t'envoient quand même la main avec un gros sourire.
En chemin, j'arrête aussi à Jade City, un regroupement de quelques boutiques qui vendent des articles de jade travaillés sur place. On m'y apprend que plus de 90% du jade mondial est extrait de la région. C'est drôle, il me semble que j'avais entendu la même chose en Chine et aussi ailleurs en Europe. C'est combien 3 x 90% de la production mondiale déjà?
La route elle-même doit passer d'une vallée à une autre. Je dois donc franchir un col solide pour ce faire et la montée s'éternise pendant un vingtaine de kilomètres. Monte de 50m, descend de 20, remonte de 40, descend de 50. Quand j'arrive au sommet du col, mon GPS m'informe que j'ai monté l'équivalent de 2 fois la hauteur du col. À 11h30, je roule depuis plus de 3.5 heures et j'ai à peine franchi 50km. Je révise constamment mes ambitions à la baisse.
Mais j'arrive finalement de l'autre côté du col et j'ai droit à une longue descente. En chemin, j'ai une pensée pour la responsable du camping qui, la veille, m'a dit: "The road to Dease Lake is mostly flat and generally downhill". Jusqu'à maintenant, à chaque fois qu'on m'a dit ça, j'ai rencontré les pires côtes. Les automobilistes n'ont pas du tout la même perception du relief qu'un cycliste.
Plus tard, j'arrive au chantier proprement dit. Un signaleur me dit de me mettre en attente car le trafic doit circuler en simple file tout au long du chantier. De plus, les véhicules doivent suivre un camion de tête ("a pilot car"). Je m'attend à ce que, comme au Yukon, on me dise de monter à bord du véhicule de tête pour traverser le chantier. Le signaleur me dit que non, car le camion utilisé aujourd'hui est plein de pancartes et que ce serait trop de trouble de les enlever. Je m'informe sur les conditions du chantier: 12km, machinerie lourde, équipement pour faire fondre le vieux macadam, bitume chauffé projeté par un camion. Hmmm, beau programme. J'insiste. Peut-être que je pourrais aider à débarquer les pancartes du camion? J'essaie même par une voie déviée: vous êtes sur que vos assurances vous couvrent si vous laissez des cyclistes circuler sur votre chantier? Pas de chance.
Comme j'ai pas envie de jouer au héros pour prouver quelque chose, je me tourne vers un automobiliste qui attend en file. Il est seul et conduit une énorme camionnette qui tire une immense remorque. Je lui explique la situation et 30 secondes plus tard, le vélo est dans le camion. C'est un américain et j'ai droit à son petit discours me disant qu'on verrait pas ça en Alaska et que le Canada fait tiers-monde des fois. Même s'il a un peu raison, j'ai pas non plus envie de me lancer dans un grand débat avec mon bon samaritain. Pour changer de sujet, le moyen le plus efficace avec les ex-militaires américains dans la soixantaine: "So, were you in Vietnam?". Parfait, on a changé de sujet et 12 km plus loin, il me dépose avec tout mon bardas et je suis prêt à poursuivre ma route.
Il me reste alors une quarantaine de kilomètres. Arrivé près de Dease Lake (le lac lui même, pas la ville), un chantier plus modeste où on retravaille les fossés. Je jase avec le premiers signaleur et j'apprend qu'il est de Prévost (il dit Shawbridge)! Le deuxième signaleur me dit qu'il ne me reste que 30km avant d'arriver à la ville. Il ajoute aussi: "It's mostly flat to there". Ahhh non. Comme de fait, la route, au lieu de longer le lac, grimpe presqu'au sommet de la montagne voisine et je me tape une grimpe supplémentaire de 300m.
J'arrive enfin à la ville et je me présente au bureau de poste à 16h55. Mon paquet est arrivé dans l'après-midi! Quelle chance.
Je n'ai pas rencontré de cyclistes depuis au moins 3-4 jours. Par contre, aujourd'hui, j'ai vu un mouflon sur le bord de la route, mais il a refusé de prendre la pose pendant que je prenais une photo et a préféré se sauver en me voyant. J'ai aussi croisé un renard roux qui traversait la route nonchalamment. J'adore comment les renards font toujours semblant de ne pas nous voir et même de nous ignorer. J'ai pu passer à peine à un mètre de lui sans qu'il bronche. De bonne photos avec l'autre appareil. Pas d'ours aujourd'hui.
Demain, je vais viser Iskut, un petit village à une centaine de kilomètres d'ici. Même les automobilistes m'ont dit que la route montait. Je m'attend à un mur.
Note: oh non, ma mère lit mon blogue. Heureusement que je n'ai pas parlé des herbes
médicinales qu'un amérindien a bien voulu partager avec moi hier pour aider à supporter la douleur dans mon genou. Oops ;-)
Merci Mathieu pour les MàJ. On parle pas souvent de Ryder, ça doit pas aller bien pour lui. Abandon?
Merci aussi à tout le monde pour vos commentaires positifs. J'apprécie beaucoup.